Expliquez-nous en deux mots le Programme Redevabilité
Le Programme Redevabilité est un programme de gouvernance, qui vise à créer un environnement où les organisations de la société civile, les citoyens et les médias interagissent avec les pouvoirs publics pour offrir de meilleurs services de base aux populations. Son approche consiste à renforcer à la fois la demande, l’offre et leur interface/régulation au niveau local et national. La devise « Rendre compte, tenir compte, demander des comptes » illustre bien la démarche multi-acteurs du programme.
C’est un programme d’une durée de 12 ans (2016-2028), divisée en trois phases. Nous mettons en ce moment en œuvre la deuxième phase.
L’hypothèse de changement du programme est ainsi formulée : « Si les citoyens connaissent leurs droits et accomplissent leurs devoirs, et les organisations de la société civile ainsi que les médias interagissent avec les pouvoirs publics, et si les institutions de régulation et de contrôle (Parlement, Justice, etc.) jouent efficacement leur rôle, il en résultera un environnement favorable à la culture de la redevabilité. Cet environnement, soutenu par les partenaires au développement et caractérisé par la transparence et la bonne gestion des affaires publiques, la confiance mutuelle et la participation individuelle et collective des citoyens au processus décisionnel, améliorera l’efficacité des autorités dans la délivrance des services publics ».
Son objectif principal est que : « Les citoyens jouissent de plus en plus de leurs droits socio-économiques et politiques grâce à la systématisation de la demande et de l’offre de redevabilité et à l’efficacité des institutions de régulation et de contrôle. » Ce but est décliné en quatre objectifs spécifiques et 15 produits. Le programme couvre ainsi un large spectre de la redevabilité : financière, judiciaire, électorale, administrative et s’attache en particulier, pour répondre à l’objectif principal du programme, à la redevabilité sociale.
La redevabilité sociale exige une approche fondée sur les droits humains et institue un dialogue entre les détenteurs de droits économiques et sociaux et les porteurs de responsabilités, chargés de délivrer ces services sociaux. La redevabilité sociale place donc le capital humain et les droits fondamentaux au cœur de son dispositif. Pour cela, les secteurs prioritaires du programme sont les droits à l’eau, à la santé, à l’éducation et à l’état-civil, au sein desquels les mécanismes de redevabilité mutuelle doivent être renforcés.
Quels sont les bailleurs de fonds du Programme Redevabilité ?
C’est d’abord un programme de la Coopération Suisse au Bénin. Toutefois, d’autres PTF contribuent à cet effort en cofinançant certaines parties ou projets du programme. L’appui à la Plateforme Electorale des OSC, partenaire majeur du Programme, est conforté par l’appui supplémentaire de nombreux bailleurs de fonds (UE, Suède, Allemagne, OSIWA). Le projet PALIRED, mis en œuvre par Social Watch Bénin, bénéficie d’un co-financement de l’UE. Le projet SA4N, mis en œuvre par CARE Bénin Togo, est cofinancé par la Banque Mondiale. Le projet PAAJCOG, d’ALCRER, est cofinancé par l’Ambassade des Pays Bas et l’Allemagne. Ainsi, la contribution suisse est maximisée par ces contributions volontaires d’autres PTF et le Programme Redevabilité respecte en cela les principes de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide au développement (2005), notamment celui de l’harmonisation et de la coordination entre donateurs.
Quel est le mandat de GFA Consulting Group ?
GFA Consulting Group est un bureau d’études international basé à Hambourg, en Allemagne. La Coopération Suisse a fait un Appel d’Offres international en 2020, pour la sélection d’un cabinet chargé de la mise en œuvre du Programme. GFA a ainsi proposé une offre technique et financière et la composition de l’Unité de Gestion du Programme (UGP) ; cette offre a remporté le marché. L’UGP est essentiellement composée de 5 experts : un chef d’équipe/chef de mission, un chef d’équipe adjoint, un chargé du suivi-évaluation, une chargée du renforcement des capacités et un responsable administratif et financier. A cette équipe d’experts s’ajoute du personnel d’appui. Le bureau de l’UGP se trouve à Haie Vive, à Cotonou.
Le mandat de l’UGP a 4 dimensions : 1. La coordination générale du programme ; 2. Le financement des initiatives de redevabilité (FoSIR) ; 3. Le renforcement des capacités ; 4. Le suivi-évaluation.
C’est un programme multi-acteurs, qui épouse d’ailleurs une « approche acteurs ». Pouvez-nous nous en dire plus ?
Nous pouvons ici encore citer deux principes fondamentaux de la Déclaration de Paris de 2005, évoquée précédemment : l’alignement et la redevabilité mutuelle. Par alignement, on entend l’obligation faite aux partenaires au développement de s’aligner au priorités nationales, qu’elles soient celles de l’Etat, des collectivités locales et plus largement des acteurs sociaux.
Et la redevabilité mutuelle évoque elle la nécessité de mécanismes de redevabilité, donc d’information, de participation et de suivi, entre les différents acteurs politiques et sociaux.
Le programme est d’abord aligné aux priorités gouvernementales en matière de gouvernance : notamment le premier pilier du PAG 2021-2026 « Renforcer la démocratie, l’état de droit et la bonne gouvernance », l’axe 4 « gouvernance efficace et inclusive » du Plan National de Développement (2018-2025), le 2ème axe opérationnel du PC2D 2018-2021 qui concerne l’amélioration de la gouvernance et enfin, la PONADEC en relecture à travers son Axe stratégique V: « Amélioration de la gouvernance locale, de la prise en compte du genre et de la redevabilité ». Et nous estimons que les acteurs sociaux, du secteur privé (et notamment l’entreprenariat social), de la société civile ou encore des médias, ont une partition essentielle à jouer dans la mise en œuvre de ces stratégies nationales de gouvernance.
C’est un programme multi-acteurs qui s’appuie sur des partenaires œuvrant déjà dans certains domaines précis de la redevabilité. Sa stratégie de mise en œuvre est basée sur une « approche acteurs ». Par « approche acteurs », nous entendons d’abord « partir de l’existant » et éviter de créer de nouvelles structures ou mécanismes qui ne seraient pas durables parce que fonctionnels uniquement pendant la durée d’un programme spécifique. L’approche acteurs exige une clarté sur les objectifs et les outils entre les donateurs et les acteurs locaux ; une confiance et des mécanismes de contrôle ; l’existence d’une boucle de rétroaction, ou encore de feed-back, qui permet aux partenaires du programme de donner leur opinion et de contribuer au suivi des actions.
Pour ce qu’il en est des objectifs spécifiques du Programme, cette « approche acteurs » peut revêtir la forme d’un acte de délégation. La délégation ne doit pas être confondue avec la distribution de tâches, ni avec un ordre donné qui suppose une acceptation inconditionnelle ; elle est plutôt « contrat en continuelle construction ». La délégation peut se définir comme un contrat entre un mandant et un mandataire qui requiert une démarche régie par un certain nombre de règles (objectifs communs, contrat de performance, mécanismes de suivi, etc.). La délégation demande interprétation et innovation. On attend de l’acteur qui contribue à la mise en œuvre du programme une plus-value, la démonstration d’une capacité à faire autrement et mieux ces actions.
Enfin, l’approche acteurs permet de construire progressivement une « communauté d’acteurs » sensible aux thématiques de la gouvernance et de la redevabilité. Dans notre cas, cette communauté est multi-acteurs : institutions étatiques, collectivités territoriales, organisations de la société civile, associations d’usagers des services publics et médias. Nous aimerions y intégrer le secteur privé, qui peut jouer un rôle majeur en termes de redevabilité/responsabilité sociale et environnementale. Celui-ci assurément aura plus de place lors de la phase 3 du programme. L’enjeu essentiel d’une communauté d’acteurs est la durabilité d’un programme comme le nôtre. C’est le grand paradoxe de nos projets de développement : ce sont bien des projets limités dans le temps et dans ses ressources, qui ont toutefois l’ambition affichée de renforcement de mécanismes durables, endogènes et pérennes du développement et de démocratisation.
Quels sont à ce jour, les premiers résultats du Programme ?
Au nombre des résultats, quasi à mi-parcours du programme, citons d’abord :
- La mobilisation des partenaires « majeurs » (FERCAB, PEOSC, CARE, SWB, ALCRER) à travers la signature des contrats et l’appui à la mise en œuvre de leurs plans d’actions ;
- L’octroi de subventions à 21 partenaires pour un montant total de 402.805.000 FCFA en 2021 (FoSIR 2021) et le lancement en mars 2022 de l’Appel à Propositions du FoSIR 2022, pour un montant maximal de 475.000.000 FCFA (les projets éligibles au titre du FoSIR 2022 débuteront en août 2022) ;
- La mise en place d’un vivier national de formateurs/trices sur différentes thématiques de la redevabilité ;
- L’élaboration de 11 modules de formation sur la redevabilité ;
- La rédaction d’un guide méthodologique et la mise en ligne de l’outil d’auto-évaluation des principes de gouvernance et de redevabilité à l’intention des partenaires de la DDC ;
- L’élaboration d’une stratégie d’appui aux structures étatiques dans le cadre du Programme Redevabilité ;
- L’amorce de la réflexion par les ministères sectoriels sur la question des standards et normes de qualité du service public ;
- La mise en œuvre de la stratégie générale de suivi-évaluation du programme (outil Toladata).
Pourquoi selon-vous faut-il s’attacher à la redevabilité ?
La redevabilité est depuis quelques années devenue centrale à la gouvernance démocratique. Pour les PTF engagés dans ces questions, il s’agissait encore il y a peu de soutenir les contre-pouvoirs démocratiques (société civile, médias) et leur capacité de dialogue avec la puissance publique (d’où tous les projets d’appui à la société civile menés par les PTF). Le Programme Redevabilité est de fait plus complexe, qui s’attache à une démarche holistique et multi-acteurs, comprenant l’ensemble des parties prenantes de la redevabilité (Etat, Collectivités Territoriales, OSC, Médias). Dans ce cadre, la redevabilité mutuelle de toutes les parties prenantes s’impose.
La redevabilité des acteurs étatiques (« l’offre de redevabilité ») découle du contrat social entre les citoyens et leurs représentants élus dans un cadre démocratique. Les citoyens ont à la fois le droit et la responsabilité de demander des comptes au gouvernement (« la demande de redevabilité »). La redevabilité peut alors être définie simplement comme l’obligation pour ceux qui détiennent le pouvoir d’assumer la responsabilité de leurs actions en les expliquant ou en les justifiant.
Nous établissons un lien direct entre redevabilité, transparence et légitimité. Et ceci s’applique en particulier aux organisations de la société civile. Des mécanismes clairs de redevabilité pour les OSC contribuent à s’assurer de la confiance du public et des autorités ; à renforcer l’efficacité organisationnelle mais aussi la crédibilité, la notoriété et l’attractivité de l’organisation ; à mobiliser des ressources additionnelles et à renforcer leur position d’interlocuteur légitime par les acteurs étatiques.
Quels sont les défis actuels du programme ?
Un défi essentiel pour un programme avec une telle architecture est son suivi et l’obtention des données quantitatives et qualitatives pour son cadre de mesure de rendement. Comme nous le savons, apprécier effets et impacts de programmes de gouvernance n’est pas tâche aisée. Le Programme Redevabilité a quatre objectifs spécifiques (ou effets attendus) et 15 produits (ou extrants) et utilise à titre pilote un programme de Suivi-Evaluation appelé Toladata.
Devenu pleinement multi-acteurs (partenaires majeurs, partenaires FoSIR 2021 et 2022 et partenaires étatiques), l’UGP doit également être en mesure de faire dialoguer ces parties tout au long du programme.
Par ailleurs, l’arrivée des partenaires étatiques (nommons les OCOA, au titre de la redevabilité administrative / l’appui au contrôle administratif ; le MJL dans le cadre de l’appui à la redevabilité judiciaire / l’accès à la justice ; le MDCAG et Ministères sectoriels pour le suivi de la démarche qualité dans la fourniture des services essentiels / redevabilité sociale et la CENA, la Cour des Comptes, le Médiateur de la République et la Grande-Chancellerie de la Vice-Présidence au titre de l’appui aux Institutions de Régulation et de Contrôle) va faire évoluer la stratégie générale de renforcement des capacités. En effet, de nouveaux besoins se donnent à voir, émanant des autorités publiques. Ainsi, nous voulons en 2022 développer trois modules additionnels de formation, par un processus multi-acteurs, sur la redevabilité judiciaire, électorale et sociale (démarche de qualité et normativité des services essentiels).
Notons que le projet partenaire PALIRED, mis en œuvre par Social Watch Bénin contribue substantiellement à ce dialogue multi-acteurs attendu, notamment par le recensement actuel des principes de redevabilité contenus dans les textes régissant l’administration et la gouvernance publiques. Ce recensement permettra à l’ensemble des acteurs d’apprécier les dispositions pertinentes de la responsabilité administrative de la République de Bénin. Le PALIRED prévoit aussi un suivi budgétaire par l’élaboration de rapports alternatifs sur les finances publiques et l’exécution du budget de l’Etat dans les secteurs de l’éducation, de l’eau et de la santé. Le projet partenaire PAAJCOG, mis en œuvre par ALCRER, contribue substantiellement, avec le Trésor Public, à l’assainissement des finances locales, par la production et l’apurement des comptes communaux en retard.
Il est enfin attendu de l’ensemble des partenaires de mise en œuvre qu’ils contribuent à l’élaboration d’une stratégie nationale de redevabilité, un des résultats attendus du Programme.
Parmi les processus en cours, nommons enfin :
- L’état des lieux par les ministères sectoriels des normes et standards de qualité dans la fourniture de services dans les secteurs de l’eau, de la santé, de l’éducation et de l’état-civil. Ce processus a débuté en 2020 par l’installation d’un groupe de travail multi acteurs par l’UGP, dont le mandat essentiel était de soutenir l’établissement de Groupes Techniques de Travail ministériels sur la démarche qualité et les normes et standards en vigueur dans leurs secteurs ; appuyer la conduite des états des lieux des normes et standards en vigueur, par les ministères sectoriels ; et organiser une conférence au cours de laquelle seront présentés aux parties prenantes les différents états des lieux, par les ministères sectoriels concernés, ainsi qu’une feuille de route pour la poursuite du processus d’actualisation des normes et standards de qualité des secteurs sociaux prioritaires. A l’issue de ce processus, l’Etat (à travers les ministères sectoriels et leurs démembrements), les collectivités territoriales, les organisations de la société civile et les organes de contrôle et de régulation pourront disposer d’un référentiel harmonisé d’intervention (standards de qualité consensuellement établis) et de veille réglementaire en ce qui concerne les 4 domaines d’intervention du programme.
- La conception d’une boite à outils pour l’élaboration de systèmes organisationnels de reddition des comptes, à l’intention des partenaires de mise en œuvre du Programme : un système de reddition de comptes étudie les informations sur les activités, les productions, les résultats et les impacts et fait un rapport aux parties prenantes concernées, ce qui permet à ces parties prenantes de demander des comptes à l’organisation.
- La mise en œuvre de la stratégie de capitalisation du travail de l’UGP et des initiatives de redevabilité des partenaires
- La mise en œuvre d’un plan de campagne de plaidoyer /lobbying mobilisant les alliés et partenaires du Programme Redevabilité coordonné par la Maison de la Société Civile (Mai 2022 – Avril 2023)
- L’édification d’un « Club de presse » (journalistes issus des principaux médias publics et privés) sur la gouvernance et la redevabilité. Ses membres pourront animer des « cafés de presse » multi-acteurs, suivre et rendre compte des activités des acteurs du Programme Redevabilité
- Et enfin, la participation effective d’acteurs culturels et de leaders d’opinion (De Jesus Comedy Club, Elifaz, le photographe Germain Lanha, le dessinateur Ange-Marie Quenum, etc) contribuant à la mise en œuvre d’une stratégie de communication multidimensionnelle pour le changement social.
Pour conclure, le Programme Redevabilité de la Coopération Suisse au Bénin est selon moi un programme innovant et riche d’enseignement, parce qu’ambitieux et holistique. Son intérêt, mais aussi sa difficulté, est de promouvoir un travail ciblant l’ensemble du triangle de la redevabilité ; et cette intervention doit créer les conditions d’un dialogue entre l’offre, la demande et l’interface/régulation.
L’UGP et ses bailleurs de fonds apprendront cette année par la tenue d’une évaluation à mi-parcours du programme, qui devra justement interroger la qualité et l’impact des outils développés. Puis, l’évaluation finale de la phase 2 à la fin 2023 permettra également l’identification et la formulation de la phase 3 du Programme.
Nous cherchons par cette phase 2 à créer les fondations de processus à long terme. Ainsi, les initiatives de financement (FoSIR 2021 et 22), de renforcement des capacités (vivier et modules de formation), de co-construction participative de standards de qualités des services essentiels, ou encore de mécanismes internes permettant d’édifier des systèmes organisationnels de reddition des comptes devront de toutes façons être soutenus à l’avenir. Notons enfin que la stratégie nationale de redevabilité, que le programme appelle de ses vœux, devra également orienter les initiatives futures des partenaires au développement en matière de redevabilité.
M. Valot, nous vous remercions pour cet entretien
Je vous remercie également.
Propos receuillis par Gwladys ODIN et Emmanuel Dulac HOUSSOU