La Coopération Suisse, à travers sa Direction du Développement et de la Coopération (DDC), est le partenaire financier de mise en œuvre du Programme Redevabilité au Bénin. Dans cette interview, la cellule de communication du Programme a reçu ses premiers responsables, Mme Elisabeth Pitteloud Alansar, actuelle Cheffe du bureau de la Coopération Suisse au Bénin et M. Serge-Camille Tonoukouin, Chargé de Programme Gouvernance au bureau de la Coopération Suisse au Bénin, en charge du suivi du Programme Redevabilité. Les deux personnalités se sont prononcées sur des questions relatives au mandat de la Coopération Suisse au Bénin, à la phase 2 du Programme Redevabilité mis en œuvre par GFA Consulting Group, … Plongez dans les lignes qui suivent pour en savoir plus.
Quels sont les principaux axes stratégiques et domaines d’intervention de la Coopération suisse au Bénin ?
Elisabeth Pitteloud : La Suisse est engagée au Bénin depuis plusieurs décennies, soit 40 ans de coopération internationale en 2021. Actuellement, nous avons démarré notre nouveau programme de coopération de 2022 à 2025, qui définit les engagements de la Suisse au Bénin et qui s’inscrit dans une continuité de ce qui se fait depuis plusieurs années. La Suisse a trois domaines d’intervention prioritaires : l’éducation de base et la formation professionnelle ; le développement économique, rural et local, avec tout ce qui a trait à l’entrepreneuriat et au développement du secteur privé ; et le domaine gouvernance, qui intègre les appuis à la décentralisation, les actions de renforcement de la citoyenneté et tout ce qui prend en compte les enjeux de redevabilité avec une palette d’acteurs extrêmement variés, des organisations de la société civile aux acteurs gouvernementaux.
Ce qui a toutefois changé dans le programme actuel de coopération : un engagement renforcé dans les quatre départements du nord à savoir : l’Alibori, le Borgou, l’Atacora et la Donga. Une prise en compte accrue de tout ce qui a trait à la programmation sensible aux conflits et à la prévention de l’extrémisme violent (les évolutions préoccupantes du contexte actuel touchent en particulier les départements du nord). Les questions liées aux changements climatiques. L’attention accrue aux plus vulnérables (ne laisser personne de côté).
Quelles devraient être selon vous les priorités des programmes actuels de consolidation de l’Etat de Droit ?
Serge-Camille Tonoukouin : La question de la consolidation de l’Etat de Droit est assez large. C’est la question de la gouvernance démocratique et qui dit gouvernance démocratique dit un certain nombre de piliers et de principes de gouvernance. Dans le cadre du Programme Redevabilité, qui accompagne les efforts de l’Etat béninois, nous cherchons à renforcer des mécanismes qui prennent en compte toutes les parties prenantes de la chaîne de redevabilité. D’où l’intérêt pour nous de travailler avec les acteurs publics et associatifs de la société civile, pour qu’ils communiquent. Cela en vue d’améliorer l’offre et la qualité de service essentiel en termes de redevabilité liée à l’organisation d’élections fiables, transparentes et paisibles, de gestion ou gouvernance financière, de la lutte contre la corruption. Les acteurs de l’interface, les institutions de contrôle, les médias notamment les radios locales, assurent aussi un accompagnement des populations à une bonne éducation civique et citoyenne. La question de la consolidation de l’Etat de droit dans le Programme Redevabilité passe par une bonne redevabilité financière, électorale, par des informations fiables et une éducation civique, ce que les radios locales nous aident à faire ainsi que d’autres acteurs.
Le Programme Redevabilité est un programme d’appui à la gouvernance. Selon vous, quel rôle joue la redevabilité dans la gouvernance contemporaine et l’Etat de Droit ?
Elisabeth Pitteloud : La redevabilité est une notion centrale pour tout ce qui a trait à la gouvernance moderne, qui inclut justement une redevabilité de l’Etat et de ses démembrements en direction des citoyens, afin que ceux-ci puissent bien exercer leur devoir de citoyens. Les citoyens ont des droits et aussi des devoirs, la redevabilité s’inscrit dans cette chaîne de dialogue entre les instances et les citoyens. Tout cela a comme objectif essentiel « d’offrir de meilleurs services aux citoyens » (Objectif Spécifique 1 – Phase 2, Redevabilité)
La Coopération suisse dans ses programmes s’attache à une « approche acteurs » ? Expliquez-nous cette « approche acteurs »
Serge-Camille Tonoukouin : L’« approche acteurs » est perçue ici comme une approche de responsabilisation des acteurs. Et c’est avec les acteurs béninois que les engagements sont pris, les priorités sont définies et hiérarchisées et les actions à faire sont également définies de manière participative. Donc ce ne sont pas des projets suisses qui sont mis en exécution, ce sont des projets béninois au profit des citoyens. C’est aux acteurs de définir leur mode d’organisation. La Coopération Suisse vient en appui technique et financier pour se rassurer que cela se fait. A travers leurs plans stratégiques, les acteurs sont accompagnés pour mettre en œuvre ce qui a été retenu de commun accord. C’est une question de responsabilisation, de participation, d’efficience, d’efficacité.
Elisabeth Pitteloud : Dans le cadre du Programme Redevabilité, le mandat de l’opérateur GFA Consulting Group est un ‘’mandat complexe’’ en ce sens qu’il doit jouer un rôle de coordination des différents acteurs de la chaîne. Ce n’est pas un programme qui est exécuté par l’opérateur ; celui-ci a, entre autres, la responsabilité de coordonner, de dynamiser, d’impulser, de s’assurer que le contenu est de qualité, qu’il correspond aux indicateurs du programme et est fourni dans les délais. C’est donc là le rôle essentiel de GFA. Nous sommes bien conscients de la grande complexité de ce programme, avec ses nombreux partenaires, à la fois du côté des Organisations de la Société Civile, des médias, mais aussi des instances nationales. Ce sont là autant de défis que GFA a commencé à relever avec succès.
L’Etat et notamment les Ministères de l’Economie et des Finances, le Ministère de la Justice, le Ministère du Développement et les ministères sectoriels, mais aussi les Institutions de la République que sont la Grande Chancellerie, le Médiateur, la Cour des Comptes et la CENA, deviennent partenaires de mise en œuvre directe du Programme, par le contrat signé sous peu entre la Coopération suisse et l’Etat. Le Programme Redevabilité vise en cela à renforcer les mécanismes internes et externes de redevabilité. Qu’attendez-vous de ce partenariat ?
Serge-Camille Tonoukouin : Le Programme Redevabilité tel que conçu, a essentiellement travaillé lors de sa première phase sur la demande. Nous avons renforcé la société civile à pouvoir faire la demande de redevabilité. Mais il s’est fait que les espaces de dialogues étaient un peu plus difficiles à mettre en place. Les acteurs du secteur public qui sont vraiment les porteurs de responsabilités ne comprenaient pas pourquoi ces interpellations de la part de la société civile. Pour cette deuxième phase, nous avons alors retenu d’accompagner en même temps la demande et l’offre de redevabilité, avec au milieu l’interface. C’est pourquoi il y a cet appui aux structures de l’Etat à travers ses ministères sectoriels et les institutions de régulations. Comme on peut constater, il y a un appui à la CENA, au Médiateur de la République pour s’assurer que la demande de la société civile est bien accueillie et trouve des réponses. Nous avons aussi la Grande Chancellerie qui joue un rôle primordial. En effet, les sanctions ne sauraient être que négatives pour le porteur d’obligations, il faut aussi donner des sanctions positives. C’est là que la Grande Chancellerie a un rôle à jouer. Nous voulons donc avoir l’ensemble des acteurs dans ce type de processus, un espace civique de dialogue. C’est pourquoi l’appui à l’Etat sera bientôt signé entre la Coopération suisse au Bénin et le Ministère de l’Economie et des Finances. Ce processus de planification pluriannuelle étant terminé, il va être conclu par un accord avec le gouvernement dans les jours à venir.
Quel serait votre message à l’endroit des nombreuses OSC et intercommunalités qui exécutent, sur financement du Fonds de Soutien aux Initiatives de Redevabilité (FoSIR) divers projets pour promouvoir les principes de redevabilité au Bénin ?
Elisabeth Pitteloud : Ces associations jouent un rôle crucial. Elles sont les courroies de transmission de la redevabilité dans la société. Elles sont des facilitatrices de dialogue, de communication. A ce titre, elles ont une responsabilité importante en termes de compréhension, de communication sur tout ce qui a trait à la redevabilité. Il est donc attendu d’elles qu’elles fassent preuve d’une grande déontologie, qu’elles soient très professionnelles et qu’elles soient finalement irréprochables. En effet, on ne peut pas promouvoir la gouvernance et la redevabilité si on n’est pas irréprochable soi-même. De ce fait, ce qu’on attend de ces structures est qu’elles soient des canaux d’expression fidèles des citoyens. Le rôle des citoyens dans les mécanismes de redevabilité doit être encouragé et renforcé par les OSC et intercommunalités bénéficiaires des subventions FoSIR. Et comme le disait Serge-Camille, ces instances qui sont rattachées aux ministères, ces instances étatiques doivent être capables de tout entendre. C’est tout un travail de construction, de renforcement, de formation qui doit se faire de part et d’autre pour chaque acteur de la chaîne.
Le mandat de la phase 2 du programme a été confié au bureau allemand GFA Consulting Group, à travers une équipe opérationnelle au Bénin. Quelles sont vos impressions personnelles sur la mise en œuvre de cette deuxième phase du Programme Redevabilité à ce jour?
Elisabeth Pitteloud : Il faut savoir qu’on est à peu près à mi-parcours donc il est encore un peu tôt pour faire vraiment une appréciation sur la durée de phase. On n’a pas encore fait d’évaluation à mi-parcours non plus. Le bilan se fera plus tard. Toutefois, comme je l’ai dit précédemment, j’estime à ce jour que le bureau allemand GFA Consulting Group à travers son équipe opérationnelle au Bénin, parvient à bien coordonner et à gérer la complexité de ce programme multi-acteurs.
Enfin, ici et là, le « monde gronde ». Pensez-vous que l’actualité en Europe aura des conséquences sur le volume de l’aide au développement en Afrique ? Et la pénurie alimentaire à laquelle sont confrontés nombre d’Etats et de populations oblige-t-elle à revoir les priorités de la Coopération suisse ?
Elisabeth Pitteloud : Il est peut-être encore un peu tôt pour se prononcer là-dessus. Mais intuitivement, j’aurai tendance à répondre que oui parce que les enveloppes allouées à l’aide publique au développement ne vont probablement pas augmenter. Des ressources pourraient être réorientées en direction de la reconstruction de l’Ukraine par exemple. On peut donc le concevoir, mais je n’oserais formuler à ce jour des affirmations, c’est vraiment trop tôt pour le dire. Ce n’est pas à l’ordre du jour pour la Coopération Suisse au Bénin de revoir ses priorités en raison de la pénurie alimentaire à laquelle sont confrontés nombre d’Etats et de populations. Ça peut l’être pour la Coopération Suisse dans d’autres pays, mais à ce stade, ce n’est pas à l’ordre du jour au Bénin.
Mot de la fin
Elisabeth Pitteloud : La redevabilité est d’abord une manière de faire, de fonctionner. C’est un modèle qu’on doit appliquer partout et à tout, et qui est central au principe de gouvernance. Et au fond, c’est une dimension qui doit être prise en compte dans tous les programmes mis en œuvre par la Coopération Suisse au Bénin. C’est aussi une des tâches de GFA : amener cette approche, cette réflexion au sein d’autres programmes de la Coopération Suisse quelles que soient les thématiques, les domaines ou secteurs.
Serge-Camille Tonoukouin : Je voudrais ajouter que GFA et le programme ont pour responsabilité de soutenir le gouvernement dans l’élaboration d’une stratégie nationale de redevabilité et qui permette la fin de chaque année de produire un rapport national sur la redevabilité. Nous constatons que la recevabilité de la redevabilité est un processus complexe ; pour autant, le niveau de redevabilité commence à s’élever au sein de chaque pays pour pouvoir répondre aux exigences de gouvernance démocratique.
Interview réalisé par Emmanuel Dulac Houssou et Gwladys Odin, Stagiaires Communication UGP/GFA