Interview avec Valery MADIANGA, chercheur en finances publiques à l’Observatoire de la Dépense Publique (ODEP) de la République Démocratique du Congo.
- Vous avez été invité par Social Watch Bénin à participer à l’atelier de méthodologie et d’écriture de rapport alternatif sur la gestion des finances publiques. Que pouvons-nous retenir de votre intervention ?
Je suis heureux de venir partager l’expérience de ce que nous faisons en matière de suivi budgétaire au Congo avec les organisations de la société civile (OSC) béninoises. Je félicite d’abord ces OSC qui travaillent sur la thématique de la gouvernance. C’est un domaine qui est complexe et y travailler prouve que les OSC ont un réel souci du pays.
L’objectif des finances publiques est de faire en sorte que les besoins des populations soient pris en compte dans la mise en œuvre des politiques publiques. Alors nous société civile dans la globalité, nous travaillons et faisons en sorte que le gouvernement se rappelle des besoins prioritaires de la population. Dans mon intervention, c’est ce que j’ai le plus rappelé, c’est-à-dire l’engagement citoyen des OSC, et comment ces OSC doivent se comporter face à l’Etat. Les OSC doivent considérer l’Etat comme un partenaire, et pas comme un adversaire. Les OSC sont des acteurs qui rappellent à l’Etat ses responsabilités et qui à cet effet, doivent mettre en place une synergie Etat-société civile. Mais aussi, la société civile doit travailler avec le secteur privé pour voir comment créer une synergie pour la bonne mise en œuvre des politiques publiques.
- Pensez-vous que ce renforcement de capacités des OSC participe à l’atteinte des objectifs de la redevabilité financière ?
Il y a tout un processus pour obtenir la redevabilité financière. D’abord, les acteurs non étatiques qui sont les organisations de la société civile doivent être munis d’une certaine capacité. Aujourd’hui, ce que nous avons fait, et c’est un premier pas. C’est pourquoi j’ai recommandé qu’il ait d’autres formations sur les suivi-budgétaire. J’ai également suggéré que les OSC soient renforcées en capacité sur la passation de marchés publics. Comme vous le savez, dans nos Etats, plus de 60% des dépenses passent par les marchés publics. Il serait donc intéressant de les former en la matière. De plus, il faudrait aussi qu’on forme les OSC sur l’engagement citoyen. Parce qu’on ne peut pas pousser à la redevabilité financière lorsqu’on n’est pas engagé. Si on n’est pas engagé, on aura peur, on aura la frustration. Il faut donc créer un environnement dans lequel les OSC puissent collaber en confiance avec les acteurs étatiques.
Ensuite, il faudrait mettre en place un groupe homogène qui va travailler de manière permanente sur le suivi budgétaire. Ce suivi doit être un exercice quotidien et permanent pour permettre à ce que les résultats soient atteints. Sinon, ça risquerait d’être juste un passage et on n’arriverait pas à capitaliser et autrement atteindre les objectifs de la redevabilité financière.
- Quel regard portez-vous sur ce qui se fait en matière de suivi budgétaire au Bénin
On m’a expliqué ce qu’on fait au Bénin et j’estime qu’il y manque au moins une dose technique. C’est-à-dire qu’il faudrait avoir recours à une multiplicité de méthodologies pour atteindre les objectifs. Ce qui est déjà fait en termes de suivi est bien, mais il faudrait choisir des thématiques qui cadrent avec les besoins prioritaires de la population. Il y a des thématiques qu’on peut choisir parce qu’un bailleur est venu mais qui ne correspond pas exactement aux besoins prioritaires de la population. C’est pourquoi j’ai recommandé à ce qu’on regarde le contexte béninois, qu’on voit la demande prioritaire de la population, et qu’on regarde comment cette demande s’insère dans les différentes thématiques qui sont prises en compte dans le budget de l’Etat. A ce moment, l’analyse budgétaire sera efficace. L’analyse budgétaire n’est efficace que lorsque les préoccupations de la population sont prises en compte dans la loi des finances.
Au Congo, c’est ce que nous faisons. Nous travaillons dans les secteurs clés de base : l’éducation, la santé, les infrastructures, etc. En plus nous travaillons aujourd’hui sur la question électorale, car dans notre pays, le cycle électoral est toujours mal respecté bien que les fonds publics aient toujours été décaissé. Nous faisons également l’analyse globale du budget pour voir les tendances budgétaires et voir si le budget respecte la volonté populaire. Nous ne travaillons pas seulement sur les sectoriels, nous donnons un point de vue sur les agrégats macroéconomiques, sur les agrégats budgétaires tels que présentés par le gouvernement. C’est ce que j’ai recommandé à mes collègues du Bénin. Qu’ils puissent travailler durement pour atteindre ce niveau-là et constituer un contrepoids aux acteurs étatiques ce qui permettra à ce que les plus démunis puissent se retrouver dans le budget de l’Etat.
- Au regard de ces observations, quelles sont les recommandations que vous pouvez faire ?
Il faudrait que les OSC « nettoient leurs discours ». Il faut montrer qu’adresser une note de plaidoyer à l’autorité publique exige une démarche polie. Nous devons construire un partenariat clair avec l’Etat. Ce n’est pas nous qui mettons en œuvre les politiques publiques. C’est le rôle de l’Etat. Donc notre plaidoyer doit être clair avec des recommandations claires et nous devons présenter le problème tel que ça se présente pour que nous ne puissions pas froisser l’Etat.
Nous devons avoir démarche diplomatique pour faire avancer nos désidératas, pour faire avancer nos propositions ou recommandations. Nous devons avoir un fil d’idée c’est-à-dire un canevas qui nous permette de suivre les acteurs par acteurs et faire en sorte que les dépenses publiques puissent aider réellement à la réduction de la pauvreté.
- Un mot à l’endroit du Programme Redevabilité et de ses partenaires
J’ai pris connaissance du Programme Redevabilité à travers le partage des publications que je lis de temps en temps. Ce que j’ai à suggérer est que le programme doit renforcer d’avantage les acteurs non étatiques, les OSC et intercommunalités. Pour pousser les autorités à rendre compte, il faut que les acteurs non étatiques soient au même niveau de connaissance que les acteurs étatiques. Ces derniers doivent tous parler le même langage.
Aujourd’hui, le Bénin est en train d’avancer dans plusieurs aspects. Mais nous aimerions également que la question de la redevabilité financière soit une réalité. Nous voudrons demain entendre également que les acteurs non étatiques ont bousculé l’Etat pour que certains programmes soient mis en œuvre conformément aux besoins sociaux de base.
Dans ce sens, je souhaite bonne chance au Programme Redevabilité et à tous ses acteurs.
Propos recueillis par Gwladys ODIN.