A l’occasion de la Journée Internationale de la Femme célébrée le 8 mars 2023, Mme Basilia Chantal CODJO, Cheffe d’Equipe de l’Unité de Gestion du Programme d’Appui à l’Egalité de Genre (PAEG), nous a livré quelques mots sur le PAEG et ses actions dans le cadre de la promotion du genre au Bénin.
Parlez-nous de votre Programme : son objectif, les effets qu’il vise et le mandat de l’Unité de gestion du programme.
Le Programme d’Appui à l’Egalité de Genre au Bénin est initié et financé par la Coopération Suisse. Il est prévu sur un horizon de douze (12) ans sectionnés en trois phases de quatre (04) ans. Nous sommes à la première phase actuellement qui couvre la période de juillet 2022 à juin 2026. L’objectif général du PAEG s’énonce comme suit : « Renforcer l’égalité du genre au sein de la population béninoise et réduire ainsi de manière durable la vulnérabilité socio-économique de la population féminine au Bénin. »
Pour atteindre cet impact, les effets et résultats attendus sont les suivants:
Effet (Outcome) 1 : Des femmes engagées sont influentes dans les instances décisionnelles et contribuent à la promotion d’un climat de paix durable.
- Produit (output) 1 : Des approches innovantes de renforcement des capacités développées par les OSC permettent de constituer une pépinière de jeunes femmes leaders politiques
- Produit (output) 2 : Les partis politiques, les institutions publiques et déconcentrées, les organisations de promotion du leadership féminin œuvrent pour un positionnement des fem mes leaders dans les instances de prise de décision.
- Produit (output) 3 : Les femmes leaders développent des stratégies de maintien de la paix de façon durable au plan national, mais aussi au niveau des départements et des communes
- Produit (output) 4 : Les hommes sont sensibilisés et prennent des initiatives positives en faveur de la promotion des droits des femmes
Effet (Outcome) 2 : Les institutions publiques délivrent des services de qualité qui répondent aux besoins spécifiques des femmes et favorisent l’égalité de genre et l’inclusion sociale
- Produit (output) 5 : Les mécanismes de lutte contre les VFF/VBG et de prise en charge des survivantes sont renforcés et bénéficient d’un financement décentralisé.
- Produit (output) 6 : Les lois en faveur de l’égalité des sexes sont vulgarisées et mieux appliquées et le cadre réglementaire en vigueur est opérationnel
- Produit (output) 7 : La budgétisation sensible au genre est appliquée dans les ministères et structures décentralisées
Effet (Outcome) 3 : Les partenaires de la DDC appliquent de manière systématique et transversale les principes d’égalité des sexes et d’inclusion sociale dans leurs interventions.
- Produit (output) 8 : Les acquis du mainstreaming genre sont renforcés et les partenaires de la DDC ainsi que les projets/programmes financés développent une approche transformative des relations de genre.
- Produit (output) 9 : Les projets/programmes de la DDC développent une approche d’inclusion sociale (LNOB) pour plus d’équité.
Le mandat de cette première phase du PAEG est confié au cabinet allemand Particip GmbH. Il assure, via l’Unité de Gestion du Programme, la coordination globale et une assistance technique aux partenaires de mise en œuvre du PAEG1.
Quant à l’Unité de Gestion du Programme, elle est composée de :
- L’experte en renforcement des capacités
- L’expert en suivi-évaluation, capitalisation et communication
- L’experte en assistance technique auprès des ministères des affaires sociales et de la microfinance
- La responsable administrative et financière
- La Cheffe d’Equipe
Quelles sont les différents partenaires de mise en œuvre du PAEG et les modalités de collaboration ?
Plusieurs acteurs sont impliqués dans la mise en œuvre du programme. On peut citer :
- le Ministère des Affaires Sociales et de la Microfinance (MASM) qui assure le leadership institutionnel du programme ainsi que la mise en œuvre de l’entièreté de l’effet 2. Et ceci à travers ses directions techniques au niveau central ; ses directions départementales et les centres de promotion sociale au niveau local ;
- les organisations de la société civile qui sont en charge de la mise en œuvre de l’effet 1, celui du leadership des femmes en politique. Trois consortia d’OSC sont concernés : le consortium Baani intervenant dans les départements de l’Atacora, de l’Alibori, de la Donga et du Borgou ; le consortium Edidé intervenant dans les départements des Collines, du Zou, du Mono et du Couffo ; le consortium Rifonge-Wanep-Fenep intervenant dans les départements de l’Atlantique, du Littoral, de l’Ouémé et du Plateau. Ces OSC se chargent essentiellement du renforcement de capacités des femmes pour en faire des leaders en matière politique. Principalement au niveau local, elles contribuent à l’atteinte des objectifs du programme ;
- les partis politiques qui sont concernés au niveau central et local par la thématique de la promotion du leadership des femmes en politique ;
- l’Institut National de la Femme (INF) et les Centres intégrés de prise en charge des victimes de violences basées sur le genre ;
- l’ensemble des partenaires des programmes de la Coopération Suisse au Bénin qui sont concernés par la prise en compte transversale des principes d’égalité de genre et d’inclusion sociale dans leurs interventions.
L’Unité de Gestion du Programme établit des relations de partenariat ou de collaboration avec chacun de ces acteurs. Elle leur assure un accompagnement technique et/ou financier pour la mise en œuvre de leurs activités qui répondent aux objectifs du PAEG1.
Quelles sont les grandes priorités du Programme pour la prise en compte du genre et du LNOB au Bénin ?
Il y a beaucoup de défis quand on parle d’égalité du genre. Le PAEG1 met le focus sur quatre (04) thématiques prioritaires : la promotion du leadership féminin en politique, la lutte contre les violences basées sur le genre, la promotion de la paix par les femmes leaders et la budgétisation sensible au genre. Le programme compte y arriver à travers quatre (04) approches : le genre transformateur, l’inclusion sociale via l’approche « Ne laisser personne de côté » (ou Leave No One Behind), la masculinité positive et la synergie d’action avec plusieurs autres d’acteurs (PTF, autres projets/programmes de la DDC).
Quelles sont les synergies d’actions voulues avec les autres programmes de la Coopération Suisse (en particulier avec le Programme Redevabilité), pour la mise en œuvre de ces différentes priorités ?
La Coopération Suisse accorde un grand prix à la prise en compte du genre et de l’inclusion sociale de façon transversale dans tous les programmes qu’elle finance. Le PAEG est chargé d’en assurer la veille auprès de tous les partenaires des programmes financés par la Coopération Suisse. Une synergie d’action est établie entre le PAEG et chacun des programmes individuellement d’une part, et d’autre part avec tous les programmes collectivement grâce à la concertation annuelle systématisée sur le thème « la prise en compte du genre transformateur et le LNOB dans les programmes de la DDC ». Ce rendez-vous annuel sur lequel portent de grandes attentes est une occasion cruciale pour rendre compte des avancées de chaque programme sur ces deux thématiques et de s’engager sur de nouveaux défis.
Le programme Redevabilité qui œuvre pour la jouissance des droits socio-économiques et politiques des citoyens est particulièrement un allié de première loge du PAEG car au rang des citoyens qui jouissent peu de leurs droits se trouvent d’abord les femmes. Dans ce sens, des actions conjointes peuvent être envisagées par les deux programmes. Tout de suite, l’Unité de Gestion du PAEG a intégré les demandes de l’équipe du programme Redevabilité concernant la mise à disposition d’une expertise lors des formations et l’élaboration des outils spécifiques pour la prise en compte du genre transformateur et le LNOB. Une planification opérationnelle s’en suivra.
L’édition 2023 de la Journée Internationale des Femmes (JIF) est placée sous le thème : « Pour un monde digital inclusif : innovation et technologie pour l’égalité des sexes ». Quelle en est votre opinion personnelle ?
Proposée en 1910 lors de la conférence internationale des femmes socialistes, la tradition du 8 mars est mise en place en 1917 avec la grève des ouvrières de Saint-Pétersbourg. En 1977, l’Assemblée générale des Nations Unies l’ONU reconnaît officiellement le 8 mars comme la Journée internationale des droits des femmes à travers la résolution 32/142.
Le 8 mars ne doit pas être perçue comme une célébration festive ou l’occasion d’offrir des présents aux femmes. C’est plutôt un moment de réflexions et surtout de bilan : c’est l’occasion de marquer un arrêt pour faire le point des avancées générées par les luttes de tous les jours concernant les droits des femmes et rappeler les défis qui demeurent sur le parcours vers l’égalité de genre et l’inclusion sociale. Car, aujourd’hui encore de nombreuses poches d’inégalités de genre et d’exclusion sociale persistent malgré les luttes soutenues menées depuis plus d’un siècle.
Cette célébration nous rappelle juste que les injustices qu’on combattait hier n’ont pas disparu. Nous devons donc continuer à nous battre pour que nos enfants et petits enfants viennent trouver un monde meilleur, propice pour le plein épanouissement des femmes.
Revenant au thème de cette année, il faut dire que plus touchées par les inégalités d’ordre économique et social, les femmes ne disposent pas toujours des ressources nécessaires à un accès et un usage optimal du numérique et sont plus concernées par des situations d’illectronisme (encore appelé illettrisme électronique, c’est la méconnaissance de l’usage des outils électroniques). Elles ne représentent qu’une faible proportion de l’ensemble des étudiantes dans les filières des TIC dans presque tous les pays du monde. Au final, les femmes développent moins de compétences numériques que les hommes.
Le numérique est un véritable outil d’émancipation, d’innovation et de propulsion des femmes sur les plans social, économique et politique, mais parfois, cet outil peut rendre vulnérables surtout les femmes et les filles avec les phénomènes d’abus d’images, de sextorsion, de harcèlement, de discours haineux, de cyber-intimidation et divulgation d’informations personnelles.
Le thème de cette année donne donc à réfléchir sur comment aujourd’hui, le monde digital promeut l’innovation des femmes et comment le monde technologique inclut les femmes. Ce sont autant de questions qu’on doit se poser pour conclure que même en 2023, de nombreux facteurs d’exclusion persistent et contre lesquels on doit lutter. Le monde digital évolue, mais il n’est pas encore totalement inclusif.
Un message à l’endroit des femmes à l’occasion de la célébration de cette journée ?
Le numérique bouge à une vitesse exponentielle. Au Bénin par exemple le taux de pénétration de l’internet en 2022 est déjà de 55% alors qu’elle était de 36% en 2019. Il importe que les femmes s’approprient de l’outil, qu’elles sachent évaluer les risques et les opportunités et qu’elles s’en servent pour construire un monde meilleur pour elles-mêmes et pour leurs communautés comme elles savent si bien le faire. Les femmes qui s’y connaissent en numérique doivent servir d’exemples pour les autres, pratiquer une sororité ou une solidarité dans le numérique, tel doit être le challenge des femmes pour relever le défi d’inclusion des femmes dans le numérique.
Les jeunes filles particulièrement devront davantage prendre conscience des images qu’elles véhiculent à travers les médias sociaux, car une seconde de vulgarité peut détruire une vie, une carrière.
Mot de la fin.
Le challenge d’égalité de genre et d’inclusion sociale ne se limite pas à un partenaire technique et financier encore moins à un programme. C’est un challenge qui engage tous les acteurs (étatiques, partenaires, organisations de la société civile, etc.) collectivement et à tous les niveaux. C’est ensemble qu’on pourra faire du genre et de l’inclusion sociale de véritables armes au service du développement, et ce, à partir de la base.
L’égalité du genre n’est pas qu’une question de féminisme ou d’idéologie. C’est l’essence même du développement des pays. Du moment où les gens comprendront ce lien très fort, ce lien très attaché entre l’égalité de genre et le développement, je pense qu’il y aura beaucoup de déclic.
Glossaire
La notion de « Genre transformateur »
Le genre transformateur est une approche qui vise l’amélioration des normes sociales et des croyances liées au genre. En effet, « on a des pesanteurs traditionnelles, des normes sociales qui font que l’application des principes du genre en profondeur pose un problème. On doit vraiment lutter à pouvoir faire avancer les choses. Progressivement, nous pourrons amener à changer les mentalités »[1].
Le genre transformateur vise à aller au-delà des actions et stratégies sensibles au genre pour faire de la participation de toutes les couches de la société via les projets et les programmes de développement de véritables leviers de développement communautaire ou local.
La notion d’inclusion
L’inclusion consiste à s’assurer que chacun ait la possibilité de participer pleinement à la vie de sa communauté. Pour que l’égalité règne, l’inclusion est indispensable. L’inclusion vise à aider les populations à prendre part à des processus qui assureront le respect de leurs droits et la reconnaissance de leurs besoins. Le principe d’inclusion nous oblige à axer nos efforts sur la lutte contre les discriminations et les inégalités qui entravent la capacité des personnes à agir selon leur propre volonté[2].
« Leave No One Behind » ou « Ne laisser personne de côté »
Il s’agit du principe 2 des ODD (Objectifs de Développement Durable) : « Leave No One Behind » ou « Ne laisser personne pour compte »[3]. Ce principe 2 est une promesse de transformation incarnée dans l’engagement sans réserve pris par tous les Etats membres de l’ONU[4] d’éliminer la pauvreté sous toutes ses formes, de mettre fin à la discrimination, à l’exclusion et de réduire les inégalités et les vulnérabilités qui produisent des laissés-pour-compte et minent le potentiel des individus et de l’humanité dans son ensemble.
La masculinité positive
Les violences faites aux femmes et aux filles prennent diverses formes (verbales, physiques, psychologiques, économiques et autres). Parmi les causes de ces actes de violence, en Afrique particulièrement, référence est souvent faite aux normes inhérentes à une société patriarcale où l’homme a l’autorité et le contrôle du pouvoir sur la femme. Pour parvenir à une société plus équilibrée, l’option de promotion de la « masculinité positive » est proposée[5].
La masculinité positive est une forme alternative d’être homme, une approche qui reconnaît les hommes, les femmes, les filles et les garçons comme des êtres humains égaux et invite les hommes à participer à des sociétés égalitaires, inclusives et capables d’offrir les mêmes opportunités pour tout le monde.
La notion du leadership féminin
Le terme leadership est défini, 1) soit en termes de « power relationship » – relation de pouvoir – qui existe entre un leader et ses « suiveurs » (followers) : de ce point de vue, le leadership signifie « avoir du pouvoir et l’exercer pour apporter des changements chez les autres » ; 2) soit en termes de « transformational process » – processus de transformation – qui conduit les « suiveurs à accomplir plus que ce que l’on attend d’eux habituellement » ; 3) soit encore en termes de « skills perspective », l’accent est alors mis sur les compétences du leader à bien jouer son rôle de leader.
Dès lors, le leadership féminin, notamment en politique, s’entend par une représentation en nombre suffisant et en qualité des femmes dans les instances de prise de décisions, les instances de gestion du pouvoir, de direction et de gouvernance d’un pays tant au niveau micro (villages, arrondissements, communes) qu’aux niveaux méso (départements) et macro (gouvernement, assemblée nationale, et à l’échelle internationale). Pour ce faire, une approche de capacitation des femmes tant sur le plan d’estime de soi, de confiance en soi que sur les plans de capacités techniques, managériales, communicationnelles, etc. devra être adoptée.
[1] https://www.djena.tg/2021/12/20/togo-le-genre-transformateur-et-linclusion-enseignes-aux-osc/
[2] https://unsdg.un.org/fr/2030-agenda/valeurs-universelles.
[3] https://unsdg.un.org/fr/2030-agenda/universal-values/leave-no-one-behind
[4] Organisation des Nations Unies
[5] https://actualite.cd/2021/11/13/rdc-comprendre-le-concept-de-masculinite-positive-et-son-application
Propos recueillis par : Gwladys ODIN